Bois, métal et technique
Mon atelier bien équipé me permet d’être autonome dans toutes les étapes de réalisation de mes gravures. C’est un bonheur de pouvoir maîtriser la chaîne complète : conception, gravure et impression des épreuves finales.
Je travaille aussi bien sur bois que sur métal ; je choisis le support en fonction de mon projet. Je vous présente ici, l’ensemble des différentes techniques de gravure propres à chacun de ces deux supports.

LE BOIS
Avec un bois gravé, l’encrage se fait essentiellement au rouleau.
Je grave des blocs de bois qui ont l’épaisseur d’un caractère typographique soit environ 2,4 cm – historiquement, les pages imprimées en caractère plomb intégraient des illustrations gravées sur bois ; d’où cette épaisseur.
Je grave deux types de bois :
le poirier et le buis ; des bois au toucher très sensuel. Le poirier très doux sous l’outil, se travaille soit en « bois de fil » c’est-à-dire dans le sens des veines du bois (comme de petites planches) soit en « bois de bout » c’est-à-dire en tranches perpendiculaires au fil du bois (et, en petits cubes assemblés).
Le buis est uniquement assemblé en bois de bout.

Ce type de gravure sur bois s’appelle à « champ levé » ou « d’épargne ». Ce qui ne sera pas imprimé est évidé, et donc la partie imprimée est la surface restante en relief, l’encrage se fait au rouleau ou avec l’ancien procédé de balles à encrer.
Impossible de ne pas évoquer les bois de Dürer…
Les outils
La gravure sur bois se pratique soit au « canif » comme les japonais du XIXe, soit avec une multitude d’outils ayant chacun une forme spécifique – c’est cette seconde méthode que je pratique. Lorsqu’une gravure nécessite un tracé particulier je suis même conduit à fabriquer certains de mes outils (avec forge et trempe…).
L'impression
Soit j’imprime mes bois sur ma presse type Gutenberg, c’est-à-dire, presse à plat, soit sur la presse à épreuves, à cylindre pour grands formats. Pour une presse à plat, la pression exercée sur toute la surface encrée du bois est considérable ; pour une presse à cylindre, la forte pression exercée correspond seulement au passage progressif du cylindre, comme une ligne qui avance.


Le choix et le traitement du papier sont une des clés de la réussite de cette belle aventure qu’est la réalisation d’une nouvelle gravure.
Le stockage
Ce n’est pas le tout d’imprimer ses gravures, il faut aussi les conserver avec rigueur. Dans mon atelier, toutes les gravures sont mises sous pression dosée entre des buvards traités sans acide et du papier de soie en attendant d’être numérotées et signées.

LE MÉTAL
La gravure sur métal est par habitude appelée taille douce…
Pour la taille douce l’encrage est différent de l’encrage des bois. C’est l’encre restant dans les creux après essuyage qui est imprimée.
Quand je pense gravure sur métal je rentre dans un monde où le champ des possibles est immense, avec des détails et des nuances qui semblent sans limite.
Pour mes gravures en taille douce j’utilise habituellement le cuivre ou le zinc ; ces deux métaux ayant des réactions différentes ; par exemple le cuivre se prête plus à l’art du burin. Selon mon projet je choisis la gravure directe avec des outils tranchants ou la gravure indirecte avec vernis et mordant (le mordant venant creuser le métal).
Gravure directe :
je grave directement sur le métal avec l'outil
Le burin
C’est pour moi la gravure la plus pure, celle qui me donne beaucoup d’émotions.
Sur la planche de cuivre polie, aux reflets orangés, l’outil tranchant semble glisser sur la planche en dégageant avec un léger crissement le copeau de métal… c’est le bonheur !

C’est aussi une tension du bras, de la main, qui demande une certaine maîtrise du corps. Il y a quelque chose de très beau dans la pratique du burin : cette relation entre soi, la planche et l’outil ; où allons-nous ensemble ?
La manière noire
Elle s’appelle aussi mezzo-tinto. C’est une façon très sensible de m’exprimer sur métal. Évidement il y a l’effort physique qui consiste à bercer (avec l’outil berceau) de petits points la plaque de cuivre, entièrement ou par zones selon le sujet ; mais le travail de polissage de cette surface créée, pour obtenir un dessin ou des dégradés de gris, est un vrai plaisir.
L’association de grands à plats noirs eux-mêmes travaillés en grisés avec des tracés au burin m’enchante ; bien que pour le tirage ce ne soit pas la formule la plus simple !
La pointe sèche
C’est la technique pour laquelle on a toujours beaucoup de tendresse, c’est généralement celle de nos débuts de graveurs ; qu’elle soit sur cuivre, sur zinc, ou même sur un autre support tel que le Rhénalon. La simplicité de mise en œuvre nous met devant notre propre capacité ; évidemment ce n’est pas si simple ! Et les combats menés avec le support sont de belles batailles.
L’objectif sensible est d’attraper ce noir « velours » au moment de l’impression : les barbes de métal formées par la pointe sèche retiennent l’encre et donnent d’une façon délicate cet aspect si recherché. Le graveur Helleu a porté cet art au sommet…
Gravure indirecte :
j'emploie comme intermédiaire un mordant appelé "eau forte"
Au préalable la planche est entièrement vernie – je choisis mon type de vernis en fonction de la technique que je vais mettre en œuvre. Je trace mon dessin ou les formes que je souhaite en grattant, et non en gravant, le vernis avec un outil. Pour graver, je plonge ensuite ma planche dans un bain de mordant, de sel(s) ou d’acide, qui vont creuser les traits du dessin ou des formes.
Le dessin dans le vernis
C’est la technique la plus répandue. Le grand Rembrandt a généralement réalisé ses gravures de cette manière : le graveur dessine dans le vernis et met à nu le métal avec un outil sans pour autant en graver la planche. C’est le mordant qui ensuite vient ronger le métal apparaissant dans les parties dégagées.
La subtilité du travail étant de bien doser le temps passé dans le mordant en fonction des noirs souhaités… premiers plans et lointains du maître flamand, une merveille…

C’est la technique la plus répandue. Le grand Rembrandt a généralement réalisé ses gravures de cette manière : le graveur dessine dans le vernis et met à nu le métal avec un outil sans pour autant en graver la planche. C’est le mordant qui ensuite vient ronger le métal apparaissant dans les parties dégagées.
La subtilité du travail étant de bien doser le temps passé dans le mordant en fonction des noirs souhaités… premiers plans et lointains du maître flamand, une merveille…
Le sucre
C’est un mélange d’eau et de sucre avec lequel on dessine avec un pinceau sur la planche. On passe le vernis une fois le dessin au sucre sec. Il suffit de verser de l’eau chaude sur la planche, le sucre alors fond et entraîne en même temps le vernis. Les surfaces ainsi dégagées doivent être traitées à l’aquatinte pour retenir l’encre lors de l’impression. Picasso dans sa série Tauromachie a fait de très beaux sucres.
Le sel
Simple ! Généralement du gros sel, produit un effet « graphique » éruptif lorsqu’il est projeté sur le vernis (qui ne doit pas être encore sec). Le sel absorbe le vernis en sorte de halos autour de chaque grain. Une fois le vernis sec la planche est immergée dans le mordant. Le sel c’est le plaisir d’un certain aléatoire.
Le vernis mou
Comme son nom l’indique, ce vernis passé à chaud, reste mou. Il permet ainsi de prendre l’empreinte d’objets (par exemples des végétaux) qui se prêtent au passage sous presse. Avec la pression, le vernis qui était étendu sur toute la planche vient adhérer aux fameux végétaux qui sont en contact. Une fois la pression terminée, quand je retire les végétaux imprégnés de vernis, ceux-ci laissent leur forme sur le métal mis à nu prêt à être traité pour la morsure.
C’est aussi une technique avec laquelle on réalise des impressions imitant le dessin ou l’écriture au crayon graphite.
L’essence de lavande
C’est une approche très agréable peu utilisée par les graveurs français. Une fois le vernis mis sur la planche, on peint avec un pinceau et de l’essence de lavande sur ce vernis. L’essence de lavande a pour effet de déstructurer le vernis qui peut être enlevé avec une assez grande facilité. Les surfaces ainsi dégagées doivent être traitées à l’aquateinte pour retenir l’encre lors de l’impression.
Le soufre
J’adore cette technique très douce. Elle s’emploie sur cuivre et c’est simplement un mélange d’huile d’olive et de fleur de souffre qui produit une corrosion de type réticulé. Cette morsure devient une trame qui alors retient l’encre lors de l’impression.
L’aquatinte - boîte à grains et colophane
L’aquatinte permet d’obtenir des nuances de gris (ou de couleurs).
Pour cette technique, la boîte à grains est l’outil capital – volumineuse et tout en hauteur. Au fond de la boîte repose de la poudre de colophane. En actionnant un tourniquet, on provoque un nuage de grains qui s’élève vers le haut de la boîte. La planche à graver est introduite dans la boîte et le nuage de colophane vient se déposer doucement sur toute sa surface. La planche ressortie de la boîte à grains est ensuite chauffée au chalumeau pour cuire la colophane. Les milliers de petits points sont ainsi collés. La planche est alors plongée dans le mordant qui vient ronger le métal autour de ces petits points. L’encre peut ainsi entrer dans les creux pour l’impression.
Tout l’art de l’aquatinte est de travailler par strates successives pour créer ces fameuses valeurs différentes, avec des jeux de zones protégées au vernis et des surfaces livrées à l’aquatinte. Il n’est pas rare de faire une aquatinte avec ce processus renouvelé une dizaine de fois pour obtenir des valeurs allant du gris très pâle au noir profond (ou autres couleurs). Dans l’aquatinte, il y a quelque chose qui est du domaine de la peinture…
J’utilise pour ma part la boîte à grains (aquatinte) pour donner des nuances (de gris) complémentaires que j’associe à d’autres techniques.
Le gaufrage
C’est une technique un peu à part mais qui a bien sa place dans notre monde de graveurs. C’est d’abord une approche qui donne beaucoup de plaisir dans la gravure même du matériau ; souvent le support est du linoléum, très doux à travailler. L’impression se fait avec des langes ou feutres épais et un papier adéquat bien humidifié. Le papier sous la presse épouse la forme des creux et en conserve le modelé qui en devient relief.
Il n’y a qu’un pas pour évoquer le foulage, petit frère du gaufrage ; c’est en fait tout relief exercé sur le papier, résultant d’une impression. C’est une notion très sensible qui n’est pas perçue de la même manière selon les époques. Fin 19e pas de foulage, aujourd’hui, le foulage est de retour. Sans en abuser, j’aime assez un léger foulage qui rajoute de la vie à l’impression. Le foulage dépend du papier et de son traitement au moment de l’impression, et aussi du séchage, qu’il s’agisse d’une gravure sur bois ou sur métal.
Le Chine collé

Le Papier de Chine est souvent du papier Japon, le terme est resté par habitude.
Subtil, le Chine collé, à tout point de vue – la finesse du papier, la teinte du papier et la technique d’application.
Une fois la planche encrée on applique sur celle-ci une feuille de papier Japon préencollée, de la taille de la planche. Lors du passage sous presse, le papier Japon vient chercher l’encre dans les creux du métal tout en se collant au papier gravure support. Le Chine collé donne beaucoup de finesse au tirage tant le papier Japon est amoureux de l’encre.
Les épreuves volantes
Elles sont tirées sur papier de Chine ou papier Japon et livrées à elles-mêmes, sans support particulier. Pour les épreuves volantes que je réalise, la plaque de métal est plus grande que la feuille de Japon imprimée. Il n’y a donc pas de cuvette formée à l’impression. J’aime beaucoup les épreuves volantes, souvent je les réalise dans des moments de rêverie sans souci. Tout semble léger dans cette manière d’envisager la gravure. Il y a chez les amateurs de gravures des inconditionnels des épreuves volantes…
L'IMPRESSION
Le papier
Une grande partie de l’organisation de la vie de l’atelier tourne autour du papier. Son choix, sa préparation, depuis la découpe, la mise à tremper, l’essorage, le brossage et le séchage. J’ai bien sûr mes papiers favoris comme le Hahnemühle, le Reina, les Japons…
L’encrage, l’essuyage, le paumage
Ah ! l’encrage… indépendamment du choix de l’encre et de sa préparation, ce n’est pas en soi extraordinaire de recouvrir entièrement d’encre une planche gravée et de faire rentrer l’encre dans les creux, ni ensuite de l’essuyer avec de la tarlatane et du papier de soie pour justement ne laisser l’encre que dans les fameux creux gravés. Mais tout l’art, toute la finesse et toute la régularité de l’impression et de ses multiples, réside dans le paumage : c’est avec la paume de la main que j’élimine le dernier voile d’encre indésirable, par des mouvements amples et énergiques de la main nue à plat effleurant la planche. L’encre retirée venant se déposer sur la paume de la main… La chalcographie du Louvre présente à ce sujet de belles vidéos.
Le passage sous presse
Ma presse taille douce est une Ledeuil d’édition ; la reine de l’atelier ; évidemment je l’adore ! Tout s’organise autour d’elle et c’est un bonheur que de régler sa pression en fonction de la gravure.
L’épaisseur des langes qui poussent le papier dans les creux de la planche pour aller chercher l’encre, la vitesse de passage du plateau entre les cylindres, tous ces paramètres représentent la vie du graveur imprimeur, un monde fait de petits repères visuels, d’écoute de petits bruits, en fait, d’expérience…

Séchage et stockage

Une fois imprimées mes gravures sont mises à sécher entre des buvards traités sans acide et du papier de soie. Elles sont ensuite stockées en piles avec séparateurs en bois ; ce qui assure une pression idéale n’altérant pas le fameux foulage. Elles attendent alors d’être numérotées et signées.
Le numérotage
Toutes mes gravures sont référencées, numérotées, datées et signées selon les catégories « Essai », « Epreuve d’Artiste » et « Commerce ».