
Je mets un point d’honneur à réaliser entièrement mes gravures, depuis leur création sur bois ou sur métal avec des outils que je réalise ou transforme en grande partie, jusqu’au tirage sur mes presses à bois ou taille douce ; vous pouvez le découvrir sur ce site.
Entretien avec Thierry de Précigout - Collectionneur
Thierry de Précigout : Bonjour Didier
Didier Saint Henry : Bonjour Thierry
TdeP : Didier nous nous rencontrons aujourd’hui pour que vous nous parliez de vous, de votre formation, de votre travail d’artiste, et surtout pourquoi la gravure ?
A ce sujet avez-vous un premier souvenir ?

DSH : En fait c’est vrai j’ai deux souvenirs : le premier est lié à mon enfance en Vendée, c’est plus une ambiance qu’un souvenir précis : immergé au cœur de la nature. J’ai toujours aimé gratter dans le bois, creuser, imaginer, pas nécessairement pour créer des objets mais pour y tracer et graver des formes.
Mon univers tournait beaucoup autour des outils, je suis depuis tout petit amoureux des outils, comme si l’outil donnait l’impression qu’avant de commencer on allait grâce à lui faire quelque chose d’extraordinaire. L’outil, c’est comme un copain qu’on ne quitte pas.
Et le second souvenir, avant mon adolescence, c’était de retrouver tous les ans en vacances, un oncle qui était peintre-graveur. Pouvoir imprimer les multiples d’une œuvre, cette idée était un émerveillement et la réalisation tout un mystère que je voulais absolument découvrir. Il m’arrivait souvent de m’endormir le soir sur l’une de ses gravures tant je la scrutais dans les moindres détails. Ces deux souvenirs sont restés ancrés comme un petit bagage que je transporte toujours avec moi.
TdeP : Quand avez-vous commencé à graver et diffuser vos œuvres ?
DSH : J’ai commencé aux Beaux-Arts de Nantes avec Louis Ferrand, mon professeur de gravure, personnage assez austère mais ça ne me déplaisait pas. C’est vraiment là que la révélation s’est faîte, malgré l’image de rigueur et « d’alchimisme » que cette technique, surtout à l’époque, pouvait évoquer. Et ensuite il y a eu les Arts Déco à Paris avec Marcel Fiorini et Jacques Fréleau-La Courrière, « les grands de ce monde ! ». Évidemment je ne voulais rien manquer, j’étais de toutes les manifestations, de toutes les expositions parisiennes, une vie d’étudiant d’une richesse incroyable !
Depuis cette époque je n’ai jamais cessé de graver.
TdeP : Je vous ai connu assez discret concernant votre travail. Pourquoi cette discrétion, comme une sorte d’intimité préservée ?
DSH : La pratique de cet art qu’est la gravure, invite à une certaine médiation et j’ai aussi poursuivi des études en philosophie ; vous imaginez ce que peut donner philo plus gravure… Certains titres que je donne à mes œuvres, peuvent exprimer cette relation philo-gravure. Je cultive ce bel équilibre entre une activité absolument manuelle et une réflexion très méditative : la matière, les outils, les machines (souvent empiriques), le toucher, les odeurs, d’un côté, et de l’autre tout le travail de préparation, de recherche, de réflexion, attachée à des concepts concernant notre réalité : être au monde.
Je passe beaucoup de temps à préparer mes gravures avant d’attaquer la planche de bois ou de métal ; ce sont des moments à la fois heureux et prenants, pouvant même générer une certaine tension.
Didier, préférez-vous graver sur bois ou sur métal ?
DSH : En fait, je n’ai pas de préférence. Le bois, c’est très sensuel, tactile, cette gravure dite à champs levé me donne l’impression de reproduire les mêmes gestes que les anciens, c’est-à-dire depuis les incunables tout en ayant une création contemporaine – c’est le grand écart.
Le métal c’est autre chose. Déjà, il y a bon nombre de techniques liées à ce support. Les deux principales, les plus connues, étant le burin et l’eau forte : « pousser le burin » c’est quelque chose ! : le crissement du copeau de cuivre, la respiration retenue ; j’ai vraiment un faible pour le burin.
TdeP : Votre création comment la définissez-vous ?
DSH : Je me considère comme un funambule qui se déplace sur un trait de burin entre le symbolisme et l’expressionisme.
TdeP : Ha ! Jolie formule, ça vous va bien. C’est vrai que je retrouve ces deux axes dans vos œuvres.
Et alors, vos expositions ?
DSH : Comme vous pouvez le voir ma galerie c’est mon atelier. J’ai toujours eu un atelier. C’est là que viennent les collectionneurs, mes amis, et ça me convient très bien. C’est mon choix d’artiste, mis à part quelques expositions collectives auxquelles je participe volontiers avec les copains graveurs.
TdeP : Le mot de la fin ?
DSH : La gravure reste un travail de solitaire mais je ne suis pas complètement ours dans sa caverne puisque vous le voyez bien je suis heureux de recevoir dans mon atelier et de diffuser mes gravures sur ce site. En plus j’ai créé l’association Expression Gravée qui regroupe une vingtaine de graveurs avec lesquels nous refaisons régulièrement le monde, ou peut-être… « notre place au monde ».
TdeP : Merci beaucoup Didier c’est toujours un plaisir de venir dans votre atelier.
DSH : Merci à vous Thierry, à bientôt.
Entretien du 20 octobre 2022 réalisé dans l’atelier de Didier Saint Henry